En conscience ?

Crayon contre couteau : les malheurs que nous vivons portent sur le devant de la scène deux outils qui nous sont par ailleurs familiers et sympathiques. Les crayons de mon bureau permettent de souligner ou d’annoter les pages qui font les délices de ma pensée tandis qu’à la cuisine, les couteaux et autres ustensiles préparent mes repas à partager. En résumé, le crayon nourrit l’esprit, le couteau nourrit le corps. Y a-t-il plus complémentaires que ces deux là ? Ici, c’est pour le meilleur mais hélas, il peuvent servir au pire : en certaines mains mal intentionnées le crayon devient plus adroit à tracer des caricatures outrancières qu’à porter sur le papier des coeurs, des fleurs ou des mots d’amour tout comme le couteau, saisi par des mains vengeresses, fait vibrer dans l’obscurité de la haine les éclairs de sa lame avant de régler l’outrage dans le sang et la mort . Tant pis si la victime est innocente de ce combat ; ce qu’elle représente suffit ! Crayon contre couteau ; couteau contre crayon, nous voilà loin des délices de l’esprit et des repas à partager. Brandie à tout moment, la liberté d’expression dont nous nous targuons peut-elle étouffer la conscience intime de chaque citoyen ?
La scène qui suit se passe en 1944. Les Allemands en fuite tirent et tuent " à l’aveugle". Revolver en main, un officier SS

descend dans une cave et trouve un enfant de 10 ans environ. Il tremble. "Les mains en l’air !". Debout face à l’officier, l’enfant s’exécute. "As-tu peur ? Tu sais que j’ai sur toi le pouvoir de vie ou de mort ; as-tu peur de mourir ?" - "Oui, j’ai peur. Très peur ! Vous pouvez me tuer. Mais si vous me tuez, durant toute votre vie la pensée d’avoir tué un enfant vous poursuivra." L’officier observe longuement le garçon, très longuement puis il se détourne et disparaît. Mieux que la liberté de tuer au nom de la guerre, la conscience avait fait son œuvre.(1)
Victor Hugo a magnifiquement illustré "La conscience" ; vous avez peut-être appris ce poème à l’école. Vous pouvez en lire la fin ci-après. La conscience n’exclut pas la liberté ; bien au contraire elle en est la cheville ouvrière. La liberté s’arrête-t-elle vraiment dès qu’elle porte atteinte à autrui ? Je n’en suis pas sûr. Les malheurs que nous vivons montrent le contraire. Mais où est donc passée la conscience ? Une telle question sent si fort le religieux qu’une République qui se veut laïque peut difficilement s’y référer. D’ailleurs, la conscience, certains l’ont large, d’autres l’ont étroite. Alors . . .

Hilaire Ferchaud
(1) Témoignage rapporté par l’intéressé sur les ondes de la radio
Illustration : La conscience : vitrail de la chapelle Saint Julien à Quiberon

Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : » Non, il est toujours là. »
Alors il dit : « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.