Charité ou calcul ?

L’Inde vient d’offrir 5,6 millions de vaccins anti-COVID à plusieurs pays considérés comme étant parmi les plus pauvres du monde : le Bangladesh, le Népal, l’Afghanistan, le Bhoutan, la Birmanie. En entendant cette information, beaucoup de nos concitoyens ont certainement pensé :"Bravo ; quel bel acte de charité ! Et nous alors, que faisons-nous ?" Quelques jours plus tôt en effet, nous avons appris que l’Europe n’est pas en mesure d’envoyer aussi des vaccins chez ceux qui n’ont rien. Il est vrai que malgré son indigence générale et mises à part quelques technologiques de pointe, nous sommes surpris d’apprendre que l’Inde sort actuellement 5 000 doses / minute d’AstraZeneca. Impressionnant ! "Sois un soutien pour ceux qui sont dans la misère et ne te répands pas en largesses à l’égard des seigneurs" dit un mantra indien. C’est beau, très beau, mais lisons la suite.

"Grâce à ces dons, rapportent nos
journaux, l’Inde compte étendre son influence diplomatique."
Et v’lan, voilà le réconfortant esprit de charité transformé en savant calcul politique. Ô magie des mots qui renverse nos châteaux ! Si cela est vrai le Premier Ministre indien pourrait se présenter en position de force pour négocier avec ses voisins  :" N’oubliez pas que nous vous avons sauvés." Cependant, il n’est pas interdit de garder pour la bonne bouche la générosité de cet acte et de se dire que tous ces vaccins, qu’ils soient fabriqués en Amérique, en Russie, en Allemagne, en France ou en Inde, dès lors qu’ils sont destinés à sauver l’humanité, personne ne peut en revendiquer la nationalité. Dans le droit international, y a-t-il un texte allant dans ce sens-là ?

Charité ou calcul ? Tout le monde connaît la parabole du Bon Samaritain qui s’empresse de porter secours à un Judéen tombé aux mains des brigands, dévalisé et laissé pour mort au bord du chemin. Seul un Samaritain et donc un étranger très mal vu en Judée parce que ses racines sont vraisemblablement étrangères (1), s’arrête, soigne et paie la suite des soins. Peut-on supposer une arrière-pensée dans la tête du Samaritain ? Peut-on inventer une suite à cette histoire racontée par Jésus ? Par exemple que ce Samaritain envoyé en mission diplomatique par ses pairs jusqu’à Jérusalem pourrait se servir de son geste pour négocier favorablement ? Et même obtenir de l’avancement ? Là, nous ne sommes plus dans la gratuité ! Si Dieu calculait comme ça, nous serions les grands perdants de notre terre mais heureusement, sa grâce nous aide à y voir clair . . . parfois seulement !

Hilaire Ferchaud

(1) Au temps de Jésus, beaucoup de Samaritains étaient issus d’une importante colonisation étrangère consécutive à une déportation massive des Juifs vers l’Assyrie. Ainsi, les Samaritains étaient considérés comme des étrangers éloignés de la tradition religieuse de Jérusalem mais qui entretenaient eux aussi une grande haine envers l’occupant romain.