Touché au cœur

Est-il possible que des téléspectateurs n’aient pas été touchés au cœur en voyant à la télévision un récent reportage montrant une foule de jeunes Marocains lancés par les autorités de leur pays à l’assaut des
côtes espagnoles. Et sur la plage de Ceuta, tous ces corps inertes, flottant comme des épaves humaines, tournés pour la plupart vers des cieux silencieux avant d’être jetés dans l’écume et les détritus des premiers galets. Quelques-unes de ces formes, véritables fantômes issus des profondeurs, se relèvent en titubant, s’agitent, retombent, se traînent. . . puis, ô miracle, se jettent enfin dans les bras salvateurs venus à leur rencontre. Qui enlace l’autre le plus fort , le sauveteur ou le sauvé ? La vie sauve la vie ! Poignant courant d’amour entre deux êtres qui ne s’étaient jamais rencontrés. Le « Viens avec moi » et le « Aide-moi je t’en supplie » que l’on imagine chuchotés ne sont que la charnière d’une autre page de vie, celle d’un renvoi brutal peut-être vers le pays d’origine où il faudra affronter les risées, les brimades, les rejets familiaux ou celle d’une vie nouvelle, d’une renaissance sur le continent européen.

Ce qui suit est le témoignage d’un jeune homme qui, sous la plume de Marie-Françoise Colombani (1), raconte comment il s’est enfui à l’âge de 12 ans de son village d’Algérie, les détails des peurs et des souffrances endurées durant une traversée terriblement difficile, sa réussite sur le sol français mais aussi le regret d’être parti à l’insu de sa mère qui l’en aurait certainement dissuadé :

« Aujourd’hui, je ne regrette pas d’être parti. J’ai été scolarisé et j’apprends un métier. J’ai beaucoup travaillé et mon papa qui aurait tellement voulu que je continue l’école serait fier de moi. J’aimerais que ma maman soit à côté de moi. Ce qui me manque le plus, c’est son souvenir, c’est son sourire. Aujourd’hui, je lui envoie des photos. Elle me dit que je suis beau et que j’ai l’air en bonne santé. Maintenant, j’ai des amis de toutes les nationalités, une formation qui me plaît beaucoup et je me vois faire ma vie et me marier ici. Mais je ne sais pas ce que ma mère dirait si je trouvais une femme française. »

Un tel témoignage me touche au cœur. Il brasse en moi beaucoup d’idées préconçues, négatives, malveillantes à propos des émigrés . S’il est vrai que nous ne pouvons pas accueillir toutes les misères du monde, aidons au moins les institutions habilitées à le faire et faisons confiance aux autorités compétentes. Extrait du livre « Celle que j’ai laissée » ce passage peut être vu comme une récompense à l’ouverture d’esprit et un encouragement à l’entraide.

Hilaire Ferchaud

(1) Auteure du livre « Celle que j’ai laissée » - Ed. Actes sud.